Gaza : Les élus de Najac rechignent à pavoiser la mairie

Ils n’avaient pourtant pas mis longtemps à le faire pour le drapeau ukrainien. Une illustration locale du « deux poids deux mesures » souvent observé en France et dans une partie du monde. Et une forme de racisme ?

À gauche, la façade de la maire de Najac, le 27 décembre 2023. À droite, le 23 juin 2025.

« Gaza : un cimetière à ciel ouvert. » C’est le titre d’une publication de l’Unicef du 19 juin. L’agence onusienne y fait notamment un bilan du massacre de la population civile de l’enclave par l’armée israélienne depuis le 7 octobre 2023 : 55 637 personnes tuées dont 15 613 enfants, 129 880 personnes blessées dont 34 173 enfants, 11 200 autres portées disparues, probablement sous les décombres, 95 % des écoles endommagées. Ces chiffres ne sont qu’une photographie car les massacres ont commencé dès le 8 octobre.

« Les enfants – dont la vie ne devrait jamais être réduite à des chiffres – font désormais partie d’une liste longue et déchirante d’horreurs absolues. Autrement dit, c’est la vie même qui est anéantie dans la bande de Gaza », commente Edouard Beigbeder, directeur régional de l’Unicef pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

« Je n’en peux plus du silence de la communauté internationale. » (Gilbert Blanc)

Gilbert Blanc, le maire de Najac, s’est ému, à plusieurs reprises sur sa page Facebook personnelle de la situation à Gaza. Ainsi le 26 avril, il partage une vidéo montrant l’étendue sidérante de la destruction méthodique des bâtiments de Gaza avec ce commentaire : « Je n’en peux plus du silence de la communauté internationale. » Le 21 mai, il partage une autre vidéo où Stephen Kapos, « un survivant du génocide des juifs » déclare : « Le génocide à Gaza ne se produit pas en mon nom. » Citons également les publications des 25 avril, 18 mai, 23 mai, 1er juin.

Retour en 2022. Le 24 février, la Russie déclenche l’invasion de l’Ukraine. Six jours plus tard – six – les élus de Najac informent sur la page Facebook de la commune que « Najac va prendre sa place dans l’accueil des réfugiés Ukrainiens » (2/3/2022). Dix jours plus tard – dix – nouvelle publication Facebook, titrée : « Solidarité avec l’Ukraine ! » Pas avec la population civile ukrainienne mais bien « avec l’Ukraine ». On va le voir, ce détail a son importance.

Dans le Najagol n°5 de mars 2022, le bulletin municipal de la commune, l’éditorial est consacré à la situation ukrainienne où le propos est « de rappeler que comme citoyens du monde nous sommes tous sensibles à ce qui se passe au dehors des limites communales ».

Drapeau ukrainien
Puis au printemps, un drapeau ukrainien est positionné sur la façade de la mairie. Difficile de retrouver la période précise mais des photos permettent de dire qu’il a été présent au moins entre le 17 mai 2022 et le 27 décembre 2023. Donc pendant plus de 19 mois – 19 mois.

Compte-tenu de ce qui précède, les questions de savoir si les élus de Najac ont prévu de mettre un drapeau palestinien sur la façade et pourquoi ils ne l’ont pas fait plus tôt, paraissent pour le moins légitime. En l’absence de réponse des élus, on ne peut qu’envisager plusieurs hypothèses pour y répondre.

Une certitude d’abord : Alors qu’ils l’oint été pour les ukrainiens, les élus n’ont pas été dans une forme de spontanéité pour manifester leur solidarité avec la population civile palestinienne. C’est-à-dire : On met le drapeau et on verra la suite avec le préfet et éventuellement au tribunal. Ce qui aurait pu être le cas compte-tenu des atrocités subies par la population à Gaza et en Cisjordanie. Sans compter que les échanges avec la préfecture et les recours devant le tribunal permettent de maintenir dans l’actualité la question de Gaza. Il semble que c’est cette voie qu’a choisi la maire de Besançon en tenant courageusement tête au préfet.

« Principe de neutralité des services publics »
Une hypothèse ensuite pour expliquer l’attentisme des élus najacois : Peut-être la peur de se voir demander par le préfet puis par le tribunal administratif de retirer le drapeau comme c’est déjà le cas pour plusieurs villes. Car le Conseil d’état, a rappelé, dans une décision du 27 juillet 2005, à propos d’un drapeau que « le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophique ».

Déjà, on pourrait répondre à cette hypothèse que seuls les combats qui ne sont pas menés sont sûrs d’être perdus. Ensuite, plusieurs décisions montrent qu’il pourrait y avoir un chemin juridique permettant de montrer sa solidarité avec la population palestinienne via un drapeau sur la façade. Par exemple la décision du tribunal administratif (TA) de Versailles du 20 décembre 2024 concernant Saint-Germain-en-Laye.

Il s’agissait du drapeau ukrainien que le TA a demandé de retirer non pas pour des raisons de « neutralité » mais juste parce que le conseil municipal n’avait pas délibéré sur la question. Sur le fond, le TA a considéré que la commune, dans la mesure où elle l’avait mis « afin d’exprimer symboliquement sa solidarité envers une nation victime d’une agression militaire », on ne pouvait pas invoquer « la neutralité des services publics » pour demander le retrait. Et il a donné 3 mois à la commune pour délibérer.

Drapeau palestinien
Autre cas : celui de Gennevilliers examiné par le TA de Cergy-Pontoise. Là, il s’agissait d’un drapeau palestinien. Le tribunal a demandé le retrait du drapeau et l’a justifié ainsi dans sa décision : « L’action menée par la commune ne peut être regardée comme se référant seulement à un soutien humanitaire à la seule population civile palestinienne de Gaza. » En effet la commune avait écrit, pour expliquer le pavoisement, qu’il s’agissait d’exprimer une solidarité envers «une nation victime d’une opération militaire» et s’inscrivait dans un contexte de «soutien à la reconnaissance d’un État palestinien».

Conclusion du TA : « Ainsi, l’action menée par la commune ne peut être regardée comme se référant seulement à un soutien humanitaire à la seule population civile palestinienne de Gaza. » On pourrait donc comprendre en creux que si le pavoisement est présenté comme un soutien de ce type, alors il serait légal. Ce que pourrait faire la commune de Najac. Quant à l’absence de délibération, elle n’est sans doute pas un problème car elle pourrait être soumise au conseil municipal du 24 juillet.

Si le drapeau ukrainien a posé beaucoup moins de problèmes, c’est sans doute que la position de l’État français était clairement en faveur de l’Ukraine. Et d’ailleurs pas qu’en faveur de sa population. « Solidarité avec l’Ukraine ! », disait d’ailleurs, on l’a vu, la commune de Najac. Ce qui n’est pas le cas concernant la Palestine. Du moins pendant les 14 premiers mois. Depuis environ début avril, la position française a néanmoins évolué. En effet, le président de la république, Emmanuel Macron, a fait une série de déclarations où il se positionnait clairement en faveur de la population de Gaza. Notamment du fait du blocus humanitaire inhumain et contraire au droit international subi par les Gazaouis. Florilège:

– Lors d’un déplacement en Égypte, à 50 km de Gaza : « La situation aujourd’hui est intenable et elle n’a jamais été aussi grave. » (8/04)

– « Si nous abandonnons Gaza et considérons que la voie est libre pour Israël, même si nous condamnons les attaques terroristes, nous perdons notre crédibilité dans le reste du monde. » (30/05)

« Intenable », « Situation insoutenable », « Scandale », « Inacceptable », « Une honte » (Emmanuel Macron)

« Nous ne pouvons pas laisser la situation durer. Le blocus humanitaire crée une situation insoutenable et qui n’est pas acceptable. » (30/05)

« La France appelle à un cessez-le-feu au plus vite et à la levée du blocus humanitaire. Le scandale, l’inacceptable qui se joue à Gaza, c’est cela. C’est ce qui, depuis début mars, est une honte. Une honte. » (9/06)

Quoi que la France et Najac fassent aujourd’hui, le « deux poids deux mesures » restera patent. Non seulement vis-à-vis de l’Ukraine mais aussi d’Israël. Interrogé par la chaîne Parole d’honneur sur la question des drapeaux palestinien et israélien, le géopolitologue Pascal Bonniface évoquant notamment l’illumination de la Tour Eiffel aux couleurs d’Israël, déclarait (18/06) : « C’est une neutralité pas très neutre, en fait. C’est une neutralité engagée en faveur d’Israël. »

Une forme de racisme ?
D’où la question posée aux élus de Najac concernant la différence de traitement appliquée à la population ukrainienne et palestinienne : « Certains pourraient considérer que c’est une forme de racisme (même inconscient). Qu’en pensez-vous ? » Question restée, à ce jour, sans réponse.

Questions envoyées à Alain Andrieu, Pierre-Jean Bartheye, Gilbert Blanc, Fabrice Guibal, Laurence Millat, Jean-Régis Souvignet le 20 juin :

1/ Pourquoi le drapeau palestinien n’a toujours pas été hissé sur la façade de la maire ?2/ Envisagez-vous de le faire ? Si oui, quand ? Si non, pourquoi ?
3/ Certains pourraient considérer que c’est une forme de racisme (même inconscient). Qu’en pensez-vous ?

Au moment de publier ces lignes, la seule réponse de Gilbert blanc a été, une heure plus tard : « Nous sommes effectivement en réflexion sur ce point. »

Voir aussi :

4 réflexions sur « Gaza : Les élus de Najac rechignent à pavoiser la mairie »

  1. Merci Jaco. Travail impeccable.

    Allez, les élus! Un peu de courage politique! Il y a 6 mois le sujet était inflammable mais aujourd’hui, combien ont changé leur fusil d’épaule et réalisé l’horreur de la situation? (Anne Sinclair, Johan Sfar, Delphine Horvilleur…etc)
    La décision est facile à prendre, et absolument nécessaire.
    On vous soutient.

  2. Décision facile à prendre, j’en suis pas sûr du tout, bien au contraire. Que certains réalise l’horreur de la situation, ils sont de plus en plus nombreux, certainement. Auront ils le soutien des habitants, probablement, sans pour autant faire l’unanimité, certe. Et maintenant, politiquement parlant, seront ils soutenu par l’état, sûrement que non.., ils n’y a qu’à voir comment les forces de l’ordre se ruent dans les manifs pour arracher, drapeaux et autres ballons au couleur de la Palestine, il faut être con pour ne pas le voir, mais nos chers gouvernants ont choisi leur camp. Face une nation et un monde qui ferme les yeux, le seul courage ne suffit pas.

  3. Rappel : comme indiqué dans la colonne de droite, les commentaires doivent être publiés avec son identité réelle et une adresse mail valide. C’est dommage « chatgpt » x@x.com parce que votre commentaire me paraissait intéressant.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *