« Cantine à 1 € » : des élus pas pressés de l’instaurer

La tarification sociale des cantines scolaires est une mesure qui peut ne rien coûter à une commune qui la mettrait en place. Pourtant, alors que la situation sociale des plus modestes ne cessent de se dégrader en France, le dispositif est peut présent autour de La Fouillade.

La mairie de Najac (photo : Najac infos)

Un tiers des Français déclare rencontrer des difficultés financières pour se « procurer une alimentation saine leur permettant de faire 3 repas par jour ». 32 % pour être précis. C’est ce qui ressort du Baromètre de la pauvreté Ipsos-Secours populaire paru en septembre. Peu après, les Restos du cœur se sont dit contraints de refuser des bénéficiaires face à l’afflux des demandes. Les information, rapports ou sondages démontrant la forte dégradation de la situation sociale en France se sont accumulées ces derniers mois.

Les communes doivent être volontaires
Même si les communes ont assez peu de prises sur cette situation, il existe néanmoins une mesure mise en place par l’État qui permettrait d’améliorer la situation des familles les plus modestes : la tarification sociale des cantines scolaires. Mais pour la mettre en place, ces communes doivent être volontaires. Et, alors que le dispositif existe depuis 2019 et que la situation sociale ne cesse de se dégrader, elles sont encore peu nombreuses à l’avoir instauré autour de La Fouillade. De plus, quand les élus l’envisagent, ils et elles ne semblent pas trop pressés. Voire, cas rare comme à Lunac, ils s’y déclarent clairement opposés.

De quoi s’agit-il ? Après avoir signé une convention avec l’État, la commune touche 3 € par repas facturé au tarif de 1€ ou inférieur, aux familles dont le quotient familial est inférieur à 1 000 € (1). Ce quotient prend en compte les revenus et le nombre d’enfants d’une famille. Autre condition : la commune doit mettre en place au minimum trois paliers de facturation qu’elle choisit et doit répondre à un critère de finances publiques que toutes les petites communes rurales remplissent. La mesure ne coûte donc rien à la très grande majorité des communes. Voire peut même leur rapporter si on ne prend pas en compte le travail nécessaire à la mise en place et au pointage des quotients familiaux.

Exemple fictif : avant la mise en place de la mesure, une commune facture les repas 3 € pour tous les enfants. Puis, elle décide de mettre en place la mesure avec les trois paliers suivants :

Quotient familial

Tarifs

Perçu avant la mesure

Perçu après la mesure

0-699

0,50 €

3,00 €

3,50 €

700-999

1,00 €

3,00 €

4,00 €

+1000

3,00 €

3,00 €

3,00 €

Cela signifie que pour le premier palier elle va toucher : 0,50 € (payés par les familles) + 3 € (aide de l’État) = 3,50 € contre 3 € auparavant. Pour le second pallier, ce sera 1 € +3 € = 4 €. Et 3 € + 0 = 3 € pour le troisième. La commune va donc percevoir plus d’argent après la mise en place de la mesure qu’avant. Tous les détails sont ici. On y verra aussi page 10, à quoi correspond un quotient familial de 1 000 € qui dépend des revenus et du nombre d’enfants.

Jusqu’à 108 € d’économie par mois
Dans cet exemple fictif, une famille de 2 enfants avec 3 000 € de revenus aurait économisé environ 50 € par mois en moyenne puisqu’il y a 36 semaines d’école par an. Si le tarif précédent avait été de 4 €, l’économie aurait été de 70 €. Pour une famille de 3 enfants, avec un revenu de 4000 €, l’économie pourrait aller jusqu’à 108 € par mois (2). On est donc très loin d’une mesure qui ne toucherait que les bénéficiaires des minimas sociaux.

Selon leurs choix politiques, les élus peuvent ajouter d’autres paliers pour faire bénéficier les familles très modestes d’un tarif encore plus bas et/ou de baisser le tarifs des familles qui ont un quotient familial supérieur à 1000 €. Saint-Antonin-Noble-Val a ainsi adopté la grille suivante (auparavant le tarif unique était de 3,25 €) :

Quotient familial

Tarifs

0 à 500 0,25 €
501 à 800 0,50 €
801 à 1000 1 €
1001 à 1400 2 €
1401 à 1800 3 €
+ de 1801 3,25 €

C’est « un quart des enfants scolarisés » qui sont concernés par le tarif le plus bas, selon Élisabeth Birs, la maire récemment élue (La Dépêche, 10/09). Dans les communes d’Ouest Aveyron communauté, d’après les chiffres que s’est procurés Najac infos, le pourcentage d’enfants qui pourraient bénéficier d’un tarif inférieur ou égal à 1 € se situaient en 2022 entre 10 % et 85 %. Sachant que la très grande majorité se situait au dessus de 30 % (3).

Sur 40 familles seules 8 pas éligibles
À la Salvetat-Peyralès qui a mis en place la mesure au 1er janvier 2023, on nous indique que « sur 40 familles, seules 8 » n’étaient pas éligibles. Joselyne Evano, 1ère adjointe explique : « Il s’est avéré que nous sommes dans un contexte assez difficile, je ne vais pas vous l’expliquer. Donc nous avons beaucoup de parents qui ont des difficultés, qui sont parfois sans emploi, ou parfois avec des nouveaux projets pour lesquels ils n’ont pas encore des revenus très importants. Donc c’était un peu normal de donner un petit coup de pouce. »

L’élue tient à souligner que la commune continue de prendre en charge une partie du coût des repas. Ce qui est d’ailleurs le cas dans toutes les communes. Puisque le tarif facturé, avec ou sans la mesure, est toujours inférieur au prix de revient total du repas. Rappelons également que les communes sont tenues par la loi de proposer « au moins 50 % de produits de qualité et durables au 1er janvier 2022 dont au moins 20 % de produits biologiques ». Ce qui a souvent représenté un surcoût.

Un peu de travail pour les agents
Parmi les communes que Najac infos a identifiées, citons également La Rouquette (rentrée 2022), Maleville (rentrée 2022), Salles-Courbatiès (rentrée 2022) et Limogne-en-Quercy (janvier 2023). Sur quatre communes contactées, aucune n’a évoqué une charge de travail très importante pour la mise en place mais la perception n’est pas identique partout. Toutes soulignent néanmoins que cela demande évidemment un peu de travail aux agents – qui ont déjà beaucoup à faire – pour collecter les justificatifs, réaliser la facturation selon les quotients et récupérer l’aide de l’État. À Saint-Antonin, la mise en place s’est faite en seulement un mois alors qu’une nouvelle équipe venait d’arriver. De plus elle s’est faite en concertation avec l’association et les délégués de parents d’élèves. Preuve qu’une mise en place rapide est faisable.

Les communes d’Ouest Aveyron communauté (OAC) ont été informées de la mesure par un agent de la communauté de communes en 2022. Mais fin 2023, une majorité ne l’avait pas encore mise en place. Ainsi à Najac où le prix du repas est passé de 2,70 € à 3 € à la rentrée, Gilbert Blanc, le maire, déclarait à Najac infos début novembre à propos du dispositif : « On n’a pas vraiment eu cette réflexion pour l’instant, il faut qu’on la mène. » Quelques semaines plus tard, Laurence Millat, son adjointe explique : « Le dossier est à l’étude, j’en avais déjà parlé en réunion [des élus] du lundi, mais vu qu’on ne s’ennuie pas, que les journées ne sont pas extensibles, et que ça implique – malgré ce qu’on peut croire – du temps de s’occuper de ce dossier, il n’a pas encore abouti. Mais j’y travaille. »

La Fouillade : « Une réflexion va être menée »
Sollicité par Najac infos le 12 décembre, le maire de La Fouillade (3,40 €) n’a pas donné suite. La question a néanmoins été abordée en conseil d’école le 16 octobre. Dans le compte-rendu rédigé par l’équipe enseignante, il est écrit : « Cantine à 1 € ? Une réflexion va être menée en mairie pour voir comment appréhender ce dispositif. » À Sanvensa où la maire n’était pas disponible pour nous répondre, on nous indique que la prochaine discussion des tarifs se fera « en juin-juillet pour la rentrée de septembre ». La mesure a été évoquée par les élus mais « on ne sait pas si l’État va pérenniser l’aide, c’est ça qui leur posait problème ».

À Monteils (3,20 €) dont le maire, Michel Delpech, est aussi président d’OAC qui, on l’a vu, a fait la promotion de la mesure, on nous indique que ça n’a pas été mis en place « parce qu’il faut demander les revenus aux parents et ça n’a pas été jugé opportun ». Et ça ne va pas être étudié à nouveau. « Même les parents d’élèves n’ont pas souhaité… donc on n’a pas donné suite. » À Bas-Ségala (3,40 €), Saint-André-de-Najac (3,45 €), Laguépie (3,30 €) la mesure n’a pas été mise en place non plus.

« L’aide de l’État elle vient d’où ? Du contribuable, non ? »
Christophe Puechberty, maire de Lunac

Lunac où le repas est à 3,45 € et où le niveau de vie médian est de loin parmi les deux plus faibles des communes de OAC (4), est un petit peu à part. En effet, le maire, Christophe Puechberty a une position très tranchée même s’il ne l’exprime qu’à mots couverts. Quand Najac infos lui demande pourquoi la mesure n’est pas en place dans sa commune, il répond : « Pour des raisons qui sont propres à notre conseil municipal. C’est tout. »

On demande quelles sont ces raisons. Réponse du maire : « On a pris notre décision et on la expliqué aux parents d’élèves mais on n’a pas à le justifier et encore moins dans la presse. » On rappelle les économies possibles pour les familles. Réponse : « Mais bien sûr, bien sûr, oui. L’aide de l’État elle vient d’où ? Du contribuable, non ? Tous les parents sont au courant de la décision du conseil municipal et personne n’a rien dit (5)On a nos raisons, ce n’est pas obligé que ce soit écrit dans la presse. »

Quelques jours plus tard, on envoie un message au maire suite à des propos qu’il aurait tenus en réunion d’école. Il écrit : « Ils n’ont pas été dit comme ça et ne justifie en rien la décision du conseil municipal 2022. » Najac infos répond alors : « Il y a des élus notamment chez Les Républicains qui trouvent qu’il y a trop d’aides, que certaines personnes sont assistées, etc. Et qui le disent. C’est une position comme une autre. Vous semblez trouver qu’il y a suffisamment d’aides sans avoir à en rajouter tout en refusant de l’assumer publiquement. Pourquoi ? » Question restée sans réponse.

157 milliards d’aides publiques aux entreprises en 2019
Concernant « l’argent du contribuable », on peut rappeler les 157 milliards d’aides publiques allouées, souvent sans condition, aux entreprises pour la seule année 2019, selon des chercheurs lillois. Ou encore les 67 969,62 € d’aides PAC (Politique agricole commune) perçues en 2022 par le GAEC de la Serène dont …Christophe Puechberty est le co-gérant.

On touche ici à une des limites de la mesure concernant la cantine et plus généralement de la « politique du chèque » très présente dans la société française, des plus riches aux plus pauvres (allègements de cotisations, chèque énergie, chèque carburant, aide à la rénovation, aides agricoles, bonus écologique, allocations familiales, prime d’activité, aide au logement, allocation de rentrée scolaire, prêt à taux zéro, prime de Noël, etc.). Ne vaudrait-il pas mieux que les gens (cadres, agriculteurs, chefs d’entreprises, aides à domicile, artisans, commerçants, employés, ouvriers, etc.) aient des revenus suffisants pour faire face à leurs dépenses contraintes plutôt qu’une kyrielle d’aides ? Ne pourrait-on imaginer une répartition des richesses plus équitable. Ou du moins ne pas se tromper de cible ? On en est loin. Voir par exemple cette vidéo édifiante du député France insoumise, François Ruffin, sur « le gavage en haut et le rationnement en bas ».

Toujours sur les limites de cette mesure, il faut noter que l’État ne s’engage que sur trois ans renouvelables. Depuis 2019, année de la mise en place du dispositif, il a toujours été reconduit. Mieux : L’aide de l’État est passée de 2 € à 3 € le 1er janvier 2021 et pourrait atteindre 4 € au 1er janvier 2024. Mais si l’État met un terme à la mesure, cela ne pourrait-il pas être compliqué pour les élus d’annoncer la nouvelle aux parents ? Réponse de Joselyne Evano (La Salvetat) : « Ça sera compliqué mais en attendant il y aura des gens qui y auront eu droit, des enfants qui auront mangé à la cantine. » De plus les communes ont anticipé en prenant bien soin de communiquer auprès des parents autour de cette incertitude.

►Voir aussi :

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(1) Avant 2021, l’aide n’était que de 2 €.

(2)
(36 semaines x 2 € d’économie x 2 enfants x 4 jours par semaine)/12 mois = 48 €
(36 semaines x 3 € d’économie x 2 enfants x 4 jours par semaine)/12 mois = 72 €
(36 semaines x 3 € d’économie x 3 enfants x 4 jours par semaine)/12 mois = 108 €

(3) Les communes qui veulent en savoir plus notamment pour définir les tableaux et élaborer des prévisions budgétaires, ont la possibilité de contacter la Caisse d’allocation familiale et la Mutualité sociale agricole qui peuvent leur fournir la répartition de la population par coefficient familial.

(4) La moitié de la population de la commune a un niveau de vie inférieur à ce chiffre. Le-Bas-Ségala : 1 617 € – Bor-et-Bar : 1 424 € – La Fouillade : 1 699 € – Lunac : 1 488 € – La Rouquette : 1 824 € – La Salvetat : 1 553 € – Limogne : 1 675 € – Maleville : 1 738 € – Martiel : 1 770 € – Monteils : 1 740 € – Morlhon : 1 762 € – Najac : 1 592 € – Saint-André-de-Najac : 1 600 € – Saint-Antonin : 1 607 € – Salles-Courbatiès : 1 668 € – Sanvensa : 1 746 €.
Source : https://www.comparateur-territoires.fr/niveaux-vie/

(5) Sollicité Gaylord Navales, le président de l’Association des parents d’élèves, n’a pas souhaité s’exprimer.